« Sois à l’écoute, disait-on dans la vieille Afrique, tout parle, tout est parole, tout cherche à nous communiquer une connaissance ». Cette citation vient des mémoires d’Amadou Hampâté BÂ, un grand homme d’origine malienne qui a suivi cette sagesse durant ses quatre-vingt-onze années d’existence dans l’Afrique du XXe siècle. Et, dans un manuscrit autobiographique publié en 1991, ce dernier a eu la générosité de partager avec le monde les fruits qu’il a recueillis de cet éveil continuel à la richesse de la vie.
Comme il l’annonce dans l’avant-propos, son style narratif s’inscrit dans la continuité de la tradition orale africaine : « Lorsqu’on restitue un événement, le film enregistré se déroule du début jusqu’à la fin en totalité. C’est pourquoi il est très difficile à un Africain de ma génération de résumer. On raconte en totalité ou on ne raconte pas. On ne se lasse jamais d’entendre et de réentendre la même histoire ! La répétition, pour nous, n’est pas un défaut ».
Si vous voulez savoir à quoi vous attendre avec cette lecture, ci-dessous un résumé des deux volumes de cette œuvre que je classe dans les classiques de la littérature africaine à absolument lire !
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Un héritier de la noblesse peul, et de culture africaine de l’art oratoire…
Amadou Hampâté BÂ commence l’histoire de sa vie par celle de ses ancêtres. Ce dernier est le descendant d’une lignée de nobles d’origine peul. Sa mère Kadidja Pâté DIALLO est la fille d’Anta N’Diobdi SOW, une notable peul de l’ancien royaume du Macina (Mali actuel). Et, elle est également la fille de Pâté Poullo DIALLO, un pasteur peul originaire du Fouta Toro (Sénégal actuel) qui a suivi le fondateur de l’Empire Toucouleur au nom d’El Hadj Omar TALL, dont il sera un proche conseiller durant sa conquête du Macina. Son père Hampaté BÂ est quant à lui le miraculeux survivant d’une famille de notables peuls de l’ancien royaume du Macina.
L’auteur est né en 1900, à Bandiagara (Mali actuel). À cette époque, les héritiers des principales dynasties royales de l’Empire Toucouleur (Les clans TALL, THIAM, et OUANE) perdent peu à peu de leur influence politique dans sa région d’origine. En parallèle, la stratégie mêlée à la force des armes à feu permettent à la colonisation française de prendre progressivement le relai du pouvoir sur les institutions de l’intérieur du territoire.
Très vite, il est confronté aux épreuves de la vie, notamment avec le décès de son père qui survient alors qu’il n’a que trois ans. Toutefois, malgré les épreuves, il vit une enfance heureuse durant laquelle il sera entouré de beaucoup d’autres figures masculines aimantes.
Ainsi, trois hommes sont fortement présents dans son récit. Ils vont avoir un fort impact sur les valeurs portées par la personne qu’il deviendra. Le premier est Tidjani Amadou Ali THIAM, l’héritier d’une famille royale toucouleur qui sera le second mari de sa mère, et son père adoptif. Le second est Tierno BOKAR, un ami proche de sa famille qui deviendra son maître spirituel. Le troisième est le grand maître de la parole historique traditionnelle nommé Koullel, également un ami proche de sa famille dont un attachement réciproque se crée au point que l’enfant qu’il est sera surnommé Amkoullel, c’est-à-dire le petit Amadou de Koullel.
Une jeunesse riche en rencontres et en expériences formatrices…
Au fil des histoires racontées, le comportement parfois espiègle du jeune Amadou Hampâté BÂ m’a arraché quelques rires, avec quelques sourires complices liés au sentiment de déjà vu personnel ! Dans le premier volume, l’auteur parle de sa vie en tant que jeune garçon. À travers ses expériences, on découvre le rythme quotidien des villes où il a vécu.
D’abord Bandiagara, c’est sa ville d’origine, et un lieu où il est entouré de l’affection de l’ensemble de sa famille. Ensuite Bougouni, c’est une ville située à cent soixante kilomètres de Bamako. Il y vit entre ses cinq et huit ans avec sa mère, car cette dernière a suivi son mari qui y est emprisonné un temps par le régime colonial.
À la fin des sanctions prises à l’encontre de son père adoptif, la famille retourne vivre à Bandiagara. C’est alors qu’il retrouve ses amis avec lesquels il crée une association enfantine (dite « waaldé » en peul, ou « ton » en bambara) de près de soixante-dix membres, dont il est élu le président. D’autre part, ses parents choisissent Tierno BOKAR pour devenir le maître qui s’occupera du développement de son éducation spirituelle et religieuse.
À l’âge de douze ans, son quotidien est troublé quand il est désigné de façon arbitraire par un représentant du régime colonial pour compléter l’effectif de l’école de Bandiagara afin d’apprendre à lire, écrire, et parler le français. En ce temps, aller à l’école française au lieu d’aller à l’école coranique était vu comme un malheur à éviter à ses enfants pour un Peul. Mais, ses bons résultats scolaires le mènent ensuite à l’école régionale de Djenné, ville où il prépare son certificat d’études primaires. Puis, à quinze ans, il rejoint sa mère à Kati, une petite ville de garnison militaire proche de Bamako. Trois ans plus tard, s’ensuit leur déménagement dans Bamako même, lieu où il poursuit ses études.
À la fin du premier ouvrage, il est admis à l’École normale de Gorée (Sénégal actuel). Mais sa mère lui interdit de s’y rendre. Le gouverneur du Soudan français (Mali actuel) le punit alors de ce refus vu comme de l’indiscipline, en l’affectant loin de son pays. Ainsi, à l’âge de vingt-deux ans, il se retrouve envoyé en Haute-Volta (Burkina-Faso actuel) avec le titre particulier d’ « écrivain temporaire essentiellement précaire et révocable ». Par peur qu’il fuit cette mission, volontairement peu honorable pour son niveau, son voyage se fait même sous la surveillance d’un garde ! Ce dernier l’escorte jusqu’à Ouagadougou, sa destination finale.
Le parcours atypique d’un grand homme : un savant, un sage, un spirituel…
Le titre parodique du second volume de ses mémoires annonce le ton ! Ainsi, les rires et les sourires complices se manifestent également à la lecture du livre « Oui mon commandant », qui est quant à lui consacré à la vie d’adulte de l’auteur. Amadou Hampâté BÂ nous amène aux coulisses du quotidien d’un fonctionnaire africain dans le système colonial français en Haute-Volta, puis à Bamako. Plus tard, son parcours le mène également à Dakar, en France, ou encore à Abidjan, lieu où il décède en 1991.
Malgré l’éloignement avec sa ville d’origine, il est toujours resté fidèle à ses valeurs, et à ses proches d’enfance. Par exemple, à l’âge de trente-trois ans, lorsqu’il obtient un congé de longue durée, il en profite pour retourner auprès de son instructeur spirituel Tierno BOKAR. Par la suite, il écrira plusieurs livres, dont un consacré aux enseignements philosophiques de ce maître qui a marqué sa vision de la vie : « Ce respect et cette écoute de l’autre quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, dès l’instant que l’on est soi-même bien enraciné dans sa propre foi et sa propre identité, seront d’ailleurs plus tard l’une des leçons majeures que je recevrai de Tierno BOKAR ».
Au fil du temps, l’engagement professionnel d’Amadou Hampâté BÂ s’est de plus en plus concentré sur la valorisation du patrimoine culturel africain, au point qu’il devient un expert en sciences humaines reconnu à l’international.
Pour aller plus loin dans la compréhension de l’apport de ce grand homme dans la sauvegarde de la mémoire collective africaine, au-delà de la lecture de ses écrits, je vous invite à regarder les interviews qu’il a accordées à la télévision. Cela parce que, dans chacune de ses contributions, dont certaines sont disponibles sur YouTube, on est imprégné d’une richesse culturelle qui réveille et éveille notre esprit de façon positive !
À ceux qui ont déjà lu du Amadou Hampâté BÂ, quelle autre œuvre de ce grand sage recommanderiez-vous ?
Au plaisir de vous lire en commentaire.
(Par Salimata)
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