« Ce matin encore le journal en a parlé ; ces mendiants, ces talibés, ces lépreux, ces diminués physiques, ces loques, constituent des encombrements humains. Il faut débarrasser la Ville de ces hommes — ombres d’hommes plutôt — déchets humains, qui vous assaillent et vous agressent partout et n’importe quand. Aux carrefours, c’est à souhaiter que les feux ne soient jamais rouges ! Mais une fois que l’on franchi l’obstacle du feu on doit vaincre une nouvelle barrière pour se rendre à l’hôpital, forcer un barrage pour pouvoir aller travailler dans son bureau, se débattre afin de sortir de la banque, faire mille et un détours pour les éviter dans les marchés, enfin payer une rançon pour pénétrer dans la maison de Dieu. Ah ! ces hommes, ces ombres d’hommes, ils sont tenaces et ils sont partout ! La ville demande à être nettoyée de ces éléments. »
Voilà comment commence la première page de ce roman d’Aminata SOW FALL. Elle y aborde le sujet intemporel et universel de la mendicité qui abonde dans les capitales du monde entier, avec l’exemple du Dakar des années 70. C’est d’une violence satirique ! Mais c’est la méthode qu’a choisie l’auteure pour nous libérer d’idées reçues en nous montrant la complexité des rapports entre les deux partis concernés par cette problématique. D’un côté, on est amené à rentrer dans l’intimité de personnes dans le besoin, et de l’autre, dans celle de personnes en mesure de donner, mais sur-sollicitées.
Que vous ayez été donneur, receveur, ou les deux à la fois durant une période de votre vie, ça vous dit de tenter l’expérience de méditer une minute pour interroger votre for intérieur sur sa vision du sujet ? Et cela, avec le courage de le faire en toute sincérité avec vous-même ! À la fin de cette introspection, si les pensées qui animent votre esprit vous mettent mal à l’aise, je vous recommande l’acquisition de ce roman qui vous fera du bien, car il remet tout le monde en place. Pour les curieux qui sont intéressés, ci-dessous un aperçu de ce qui vous attend !
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Une œuvre d’Aminata SOW FALL, écrivaine sénégalaise…
Née à Saint-Louis du Sénégal, Aminata SOW FALL est l’une des pionnières de la littérature africaine francophone. Parmi sa riche œuvre littéraire, on compte son roman La Grève des bàttu qui a connu un succès international, au point d’être adapté au cinéma par le réalisateur Cheikh Oumar CISSOKO en 2000.
Dans ce livre rapide à lire, l’auteure nous amène à nous questionner sur notre rapport à une réalité sociale qui n’a pas de frontières, et qu’on nomme pauvreté.
En bref, c’est l’histoire d’un responsable politique chargé par l’État de faire chasser les mendiants de Dakar qui gênent la belle image touristique de la ville. Cette démarche suscite l’indignation des mendiants qui se mettent en grève. Et cette grève va bouleverser la vie sociale de la ville d’une manière inattendue !
Une intrigue qui nous immerge au cœur d’un sujet intemporel et universel…
À sa manière, Aminata SOW FALL donne un sens et de la valeur à la condition de chacun, riches comme pauvres.
D’un côté, on a des personnes en situation de détresse parce qu’elles subissent des épreuves de la vie qui les ont privés de leur source de revenus, leur santé, leur maison, leur famille, leur sécurité, et même parfois leur dignité. En face, on a ceux qui sont confrontés à cette multitude de personnes en situation de détresse, et qui adoptent des réactions différentes à l’égard du besoin d’aide exprimé par ces dernières (indifférence, rejet, confusion, humilité, ou serviabilité entre court terme et long terme).
Ici, l’auteure touche un point sensible, via une démonstration pratique sur les faits, avec l’exemple du Sénégal. Plus précisément, elle montre pourquoi les gens donnent aux pauvres en réalité. Voilà le point de vue intéressant d’un des personnages du livre sur cette question.
« D’ici peu de temps vous verrez que nous leurs sommes utiles comme l’air qu’ils respirent. Quel est le patron qui ne donne pas la charité pour rester patron ? Quel est le malade, réel ou imaginaire, qui ne croit pas que ses troubles disparaîtront en même temps que l’aumône sortira de ses mains ? Quel est l’ambitieux qui ne pense pas ouvrir toutes les portes par l’action magique de la charité ? Chacun donne pour une raison ou pour une autre. Même les parents des futurs condamnés se servent de la charité pour fausser le raisonnement du juge ! »
Une lecture qui mène à méditer sur la raison d’être des chaînes de solidarité qui existent partout dans le monde…
Malgré (ou grâce) au style satirique de ce livre, en fin de lecture, on est réconforté dans l’idée que chaque homme, femme et enfant compte dans le développement d’une communauté forte. Chacun apporte sa part à sa manière. Donc, on se doit de respecter la valeur de chacun pour éviter les divisions qui nous isolent les uns des autres, et nous rendent vulnérables dans l’adversité.
Ainsi, tout devient plus simple quand les donneurs acceptent le fait que quand ils aident leur prochain, au fond, ils s’aident eux-mêmes. Ce point de vue réconcilie toutes les catégories sociales, parce qu’il révèle l’interdépendance naturelle qui existe entre nous, car on ne sait pas de quoi demain est fait.
Au final, qu’on le veuille ou pas, le socle du (bien) vivre-ensemble, c’est d’en avoir conscience au quotidien. Cela nous permet d’œuvrer à entretenir les chaînes de solidarité qui assurent la survie du tous les membres des groupes auxquels on appartient !
Une pensée à partager sur le sujet ?
Au plaisir de vous lire en commentaire.
(Par Salimata)
J’aime beaucoup ce livre
Pareil, ça a été une belle découverte !